Ressources documentaires

Administrer les Menus Plaisirs du roi


Louis-René Boquet, Maquette de costume pour un spectacle non identifié, XVIIIe siècle, 263 x 440 mm. Bibliothèque nationale de France, Bibliothèque-musée de l’opéra, D216O-4 (29) - IFN-8455591 (domaine public).

 

Aujourd’hui maîtresse de conférences en histoire moderne à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, Pauline Lemaigre-Gaffier, a soutenu en 2011 une thèse de doctorat intitulée Du cœur de la Maison du Roi à l’esprit des institutions. L’administration des Menus Plaisirs au XVIIIe siècle et réalisée sous la direction de Dominique Margairaz (université Paris I Panthéon-Sorbonne). L’objectif de cette recherche doctorale était de contribuer à la compréhension du fonctionnement administratif, financier et logistique du système curial de la représentation royale. Service au nom fameux mais en fait assez méconnu, les Menus Plaisirs du Roi étaient en effet chargés de la production matérielle du décor du spectacle monarchique – dans les temps ordinaires comme extraordinaires de la vie de cour, du lever du souverain à son sacre ou ses funérailles en passant par les fêtes et les divertissements saisonniers.

La démonstration s’appuyait sur un traitement statistique des comptes de l’administration, l’analyse de l’allocation des dépenses permettant de mettre au jour les ressorts économiques et sociaux de la mise en scène du corps du roi. Ces résultats ayant été synthétisés et disséminés dans différents chapitres de l’ouvrage tiré de la thèse sous le titre Administrer les Menus Plaisirs du Roi. La cour, l’État et les spectacles dans la France des Lumières (Champ Vallon, 2016), l’autrice a souhaité mettre l’ensemble de ces données, ainsi que leur interprétation, à la disposition du public et des chercheurs avec l’appui du Centre de Recherche du château de Versailles.

Ainsi restituées et contextualisées par un ensemble de documents annexes tirés de la thèse de doctorat, ces données donnent à un voir l’un des terrains d’échanges entre la cour et la ville, mais peuvent aussi être citées et remployées par d’autres chercheurs.

INTRODUCTION

C’est l’idée d’exception qui est attachée aux Menus Plaisirs, lieu de production d’une culture matérielle du luxe, que les historiens de l’art se sont attachés à décrire, promouvant ainsi la place des arts décoratifs dans l’histoire des mouvements esthétiques. Or si la revendication de la magnificence et du caractère exceptionnel d’objets destinés à servir au roi et à l’incarnation de sa gloire est omniprésente dans le discours des administrateurs des Menus, ceux-ci proclament aussi que « la pluspart des marchandises que l’on consomme dans les Menus [sont] des choses courantes et non de fantaisie, telles que des bois, toiles, suif, etoffes de laine et de soye unis, etc. [1] ». Les représentations, narratives et chiffrées, que l’administration produisait d’elle-même mettent donc au jour la complexité de biens élaborés dans le cadre de circuits de production et de consommation qui relèvent notamment, mais pas seulement, du cadre théorique de l’économie dite « des singularités ». Ces biens n’étaient pas en effet choisis en raison d’un prix fonctionnant comme signal unique de leur qualité ou, moins encore, de leur caractère concurrentiel : ils se définissent au contraire par l’appréciation de leur qualité dans le cadre d’échanges d’expertises et d’information, tout en résultant d’un processus de personnalisation de l’offre . Au-delà, les administrateurs des Menus Plaisirs n’en manipulent pas moins des biens très divers et donc loin de revêtir tous la principale caractéristique des singularités, c’est-à-dire d’être en eux-mêmes des biens « indivisibles » (à l’instar des objets de luxe ou des œuvres d’art). Leur appartenance aux « œuvres de civilisation » qu’incarnent souvent les singularités [2] semble même s’estomper dans une écriture comptable qui fait de la culture matérielle de cour une symbolique en kit entièrement démontable. Il est vrai que l’économie d’Ancien Régime – à la différence du monde occidental contemporain dans le cadre duquel ont été théorisés les biens singuliers – se caractérise par la rareté et que l’abondance matérielle y constitue à elle seule une forme de singularité – trait premier de la culture de cour [3]. Mais c’est bel et bien un corps du roi en pièces détachées, d’inégales valeurs et ouvrant différentes possibilités de combinaison, qu’exposent les états de dépenses des Menus Plaisirs : s’affichent ainsi les contraintes matérielles à transcender pour produire un ordre symbolique.

Au XVIIIe siècle, l’essor conjugué de la production et de la consommation transforme en outre l’ensemble des échanges et des cadres matériels [4], catalysant entre autres le développement de nouvelles conditions scéniques de représentation et une nouvelle économie du théâtre . Les Menus Plaisirs participant de ce processus, leurs états de dépenses déploient dès lors dépenses et consommations d’une triple entité : à l’hôtel royal se combine un hôtel administratif et une véritable entreprise théâtrale. L’accroissement et la diversification des dépenses pour les spectacles épousent la théâtromanie du temps et les évolutions globales des conditions scéniques de représentation [5] : notamment marquées par l’adaptation des costumes de scène à la représentation du réel [6], elles se redoublent tout particulièrement à la cour d’importants investissements dans les décors. Tant ces décors – créés pour ces représentations lyriques et dramatiques, mais aussi pour les fêtes d’extérieur et les cérémonies dynastiques comme les « pompes » funèbres [7] – que les objets utilisés au quotidien par le roi et par la famille royale [8] ont été singularisés par des études qui en ont décrit les formes, les matériaux et la symbolique. À l’inverse, le choix d’un traitement statistique de la documentation comptable produite par les Menus Plaisirs dé-singularise ces objets pour les intégrer à des flux d’argent et de matières : la singularité n’est plus alors attachée à chaque œuvre isolée par l’historien, mais à des agencements institutionnels dont témoigne l’allocation de la dépense.
Les données proposées ont été produites à partir des « états de dépenses » des Menus Plaisirs synthétisant les mémoires de fournisseurs de l’administration et récapitulant les dépenses ordonnancées par les Premiers Gentilshommes de la Chambre du Roi, puis, à partir de 1780, par le Bureau général de la Maison du Roi [9]. Quatre années ont été retenues : 1744, 1762 et 1786 permettent de scander un long second XVIIIe siècle et 1698 d’illustrer en contrepoint le fonctionnement curial de la fin du règne de Louis XIV. Cinq critères ont été déclinés pour catégoriser et regrouper les items comptables extraits de ces états de dépenses : discriminer et mettre en relation les différents types de créances, les différents types de créanciers, les différents types de circonstances, les différents types de fonctionnalités liées à la culture matérielle et les différents types d’usagers des biens fournis ou produits par les Menus Plaisirs révèle l’évolution des modalités selon lesquelles ils prenaient en charge – administrativement, financièrement et matériellement – la vie de cour au temps des Lumières.

Les résultats obtenus démontrent en effet la réduction de la part des dépenses pour le service personnel du roi et de la famille royale, l’importance originelle puis l’explosion des dépenses pour les spectacles ordinaires de la cour, et, en parallèle, deux phénomènes majeurs en termes d’administration du cérémonial. Il s’agit, d’une part, du développement des dépenses liées aux « magasins » (les bureaux-entrepôts de l’administration) – par la consolidation des dépenses d’investissement en dépenses de fonctionnement – et, d’autre part, de la transformation des priorités en termes de construction matérielle de l’environnement curial – le vêtement cède le terrain à un aménagement global de l’espace. Au-delà du constat de la croissance continue des dépenses de la cour de France tout au long de sa période versaillaise, l’évolution de la structure de ces dépenses, à travers l’exemple des Menus Plaisirs, atteste les mutations conjointes des formes du cérémonial, des modalités de sa gestion et des logiques de l’échange. La baisse de la part relative des dépenses consacrées à la ritualisation du quotidien se combinant à la stabilité en termes relatifs (couplée à une forte progression en termes absolus) de celles consacrées à un théâtre de cour mis en œuvre par des professionnels, les Menus s’énoncent comme le lieu de la perpétuation du cérémonial et du renouvellement de ses fondements esthétiques et politiques – du roi acteur au roi spectateur, du service domestique de la représentation monarchique à la politique publique du théâtre.

Notes
1. Archives nationales, O/1/2809, « Mémoire »
2. L. Karpik, « De l’existence et de la portée de l’économie des singularités », Revue française de sociologie, 2008/2, vol. 49, p. 407-421.
3. Contrairement à ce qui a pu être réalisé sur d’autres cours européennes (voir Maurice Aymard et Marzio A. Romani (dir.), La Cour comme institution économique, Actes du 12e Congrès international d’histoire économique, Paris, éd. de la Maison des Sciences de l’Homme, 1998 et, plus particulièrement, les travaux de Marcello Fantoni sur la cour toscane), ni les dépenses ni la consommation de la Maison du roi de France n’ont fait l’objet, pour l’époque moderne, d’une tentative de synthèse ou d’analyses de détail, à l’exception de la thèse de Bénédicte Lecarpentier-Bertrand, Du corps du roi au corps domestique. Les consommations de la cour de France au XVIIe siècle (v. 1594-v. 1670), sous la direction de Jean-François Dubost, Université Paris-Est-Créteil, 2016 (à paraître aux Presses Universitaires de Rennes, collection Aulica, en collaboration avec le Centre de recherche du Château de Versailles). John Brewer et Roy Porter, Consumption and the Worlds of Goods, Londres/New York, Routledge, 1993 ; Daniel Roche, Histoire des choses banales. Naissance de la consommation, XVIIIe-XIXe siècles, Paris, Fayard, 1997.
4. Lauren Clay, Stagestruck. The Business of Theater in Eignteenth-Century France and its Colonies, Ithaca/Londres, Cornell University Press, 2013.
5. Martine de Rougemont, La Vie théâtrale au XVIIIIe siècle, Paris, Honoré Champion, 1988 ; Nicole Decugis et Suzanne Reymond, Le Décor de théâtre en France du Moyen Âge à 1925, Paris, 1953.
6. Outre les monographies consacrées aux dessinateurs de la Chambre et du Cabinet (jusqu’à la thèse en cours de Marc-Henri Jordan, sur les décors de Pierre-Adrien Pâris, sous la direction de Christian Michel à l’Université de Lausanne), voir les travaux pionniers de Marie-Christine Moine, Les Fêtes de cour et les Menus Plaisirs du Roi sous le règne de Louis XV, Thèse de 3e cycle sous la direction de Jean Meyer, Université Paris-4 Sorbonne, 1985, 2 vol., ou d’Alain-Charles Grüber, Les Grandes Fêtes et leurs décors sous le règne de Louis XVI, Paris/Genève, Droz, 1972 ; voir aussi Nicole Vayssaire-Even, Les Décors scéniques de l’Académie royale de musique et des théâtres des châteaux de Versailles et de Fontainebleau, thèse de l’École des Chartes, 1980. Pour une synthèse des travaux récents sur la cour de France, voir Théâtre de Cour. Les spectacles à Fontainebleau au XVIIIe siècle, catalogue de l’exposition au Musée national du château de Fontainebleau (18 octobre 2005-23 janvier 2006), Paris, éd. de la RMN, 2005 et Élisabeth Caude, Jérôme de La Gorce et Béatrix Saule (dir.), Fêtes et divertissements à la cour, Paris, Gallimard/ Château de Versailles, 2017.
7. Raphaël Mariani, Les Menus Plaisirs dans la vie quotidienne du Roi et des princes (1715- 1774), Mémoire de Maîtrise sous la direction d’Alain MÉROT, Université Paris-4 Sorbonne, 2000 ; Idem, Les Menus Plaisirs et la vie quotidienne de la famille royale (1770-1792), Mémoire de DEA sous la direction d’Alain MÉROT, Université Paris-4 Sorbonne, 2001.
8. La thèse a démontré (notamment dans le chapitre 2 également consultable sur ce site) que ces dépenses (ordinaires et extraordinaires jusqu’en 1760, toutes qualifiées d’ « extraordinaires » par la suite) recoupaient de manière continue à l’échelle du siècle la mise en œuvre concrète de leurs attributions par les Menus Plaisirs.

Deux parcours de lecture proposés au moyen des différents documents mis en ligne

Parcours 1 - L’allocation de la dépense de l’administration des Menus Plaisirs de la fin du règne de Louis XIV à la fin de l’Ancien Régime (années 1698, 1744, 1762 et 1786) : le lecteur pourra consulter, année par année, les données produites sous forme de tableaux (répartition chiffrée de la dépense en fonction des différents critères utilisés pour le traitement statistique) et de graphiques (proportions relatives des différentes catégories d’objets de dépense). En vue d’un remploi contextualisé de ces données qui ne restituent pas l’ensemble des dépenses et des consommations de la cour, mais concernent des personnes et des biens mobilisés dans un cadre administratif spécifique, le lecteur pourra s’appuyer tant sur la présentation détaillée de la méthodologie du traitement appliqué aux « états de dépenses » (introduction du chapitre 9 de la thèse de doctorat – « Objets et sujets du roi. L’économie financière, matérielle et symbolique du cérémonial » – où figure aussi un résumé des principales données de chaque année) que sur l’analyse des attributions des Menus Plaisirs à la cour et de leur expression dans leur documentation administrative (chapitre 2 de la thèse de doctorat : « Entre Chambre et Maison, l’administration du spectacle monarchique »).

Parcours 2 - L’administration des Menus Plaisirs au miroir de ses comptes au siècle des Lumières : de la nébuleuse à l’organisation  : pour visualiser la dynamique des échanges à la Cour et comprendre la manière dont ceux-ci ont pu, dans le cas des Menus Plaisirs, transformer un service domestique aux contours flous en une véritable organisation administrative et productive, le lecteur pourra également lire les développements du chapitre 9 consacrés dans la thèse de doctorat à l’interprétation d’ensemble de l’articulation des objets de dépense – les graphiques étant en ce cas directement intégrés au texte du chapitre et les tableaux chiffrés disponibles dans les annexes de la thèse (également mises en ligne).

LISTE DES DOCUMENTS MIS EN LIGNE

Parcours 1 : L’allocation de la dépense de l’administration des Menus Plaisirs de la fin du règne de Louis XIV à la fin de l’Ancien Régime (années 1698, 1744, 1762 et 1786)

>   Objets et sujets du roi. L’économie financière, matérielle et symbolique du cérémonial - Introduction
>  Entre Chambre et Maison, l’administration du spectacle monarchique
>   Données 1698
>   Données 1744
>   Données 1762
>   Données 1786

Parcours 2 : L’administration des Menus Plaisirs au miroir de ses comptes au siècle des Lumières : de la nébuleuse à l’organisation

>  Objets et sujets du roi. L’économie financière, matérielle et symbolique du cérémonial
>  Annexes.

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