Le programme « Les étrangers à la cour de France au temps des Bourbons (1594-1789). Stratégies, apports, suspicions » a pour objectif d’appréhender les différentes formes de la présence étrangère à la cour de France et, ce faisant, de construire un objet d’étude transversal – puisque la notion même d’étranger introduit une catégorisation bipolaire des individus traversant tous les statuts sociaux, entre ceux qui sont sujets du roi de France et les autres, propre à mettre en évidence des phénomènes que l’adoption d’un point de vue strictement franco-français ne révèle pas nécessairement.
Le premier axe thématique de ce programme est consacré aux « Courtisans étrangers ». Il s’attache à l’étude de tous les étrangers qui, à un moment donné de leur carrière curiale, ont joui d’une position définie à la cour de France, soit par intégration dans les Maisons royales et princières françaises, soit par l’obtention du statut de « pensionnaire du roi », soit encore en étant, à la cour de France, au service de princes ou d’États étrangers.
Ce thème s’intéresse de manière prioritaire aux courtisans que leur carrière et l’état de la documentation conservée rendent susceptibles d’un traitement systématique, lequel doit permettre de faire ressortir les différentes identités attachées à ces étrangers, que ces identités soient effectives, revendiquées ou attribuées, en particulier les positions sociales et leurs traductions en termes de statuts. Dans cet objectif, nous proposons d’étudier les fonctions exercées et les carrières menées au sein de la cour par des étrangers, les charges et les rangs qu’ils y détiennent ou, au contraire, qui leur sont refusés.
De la sorte, outre les diverses modalités d’intégration socio-politique, nous souhaitons faire également faire ressortir les écarts entre les univers de ces gens venus d’ailleurs et l’espace curial dans lequel ils s’inscrivent. Les formes d’échec, relatifs ou absolus, que les étrangers peuvent rencontrer face à leurs attentes, sont autant d’indices des spécificités culturelles. Il en est ainsi des places ou rangs revendiqués et ceux qui sont effectivement obtenus, ou encore des statuts juridiques théoriques qui se recomposent au regard de leur reconnaissance dans l’entourage royal et, ce faisant, de leur participation à l’organisation politique du royaume.
Parallèlement, les opportunités qu’offre la cour de France pour forger de nouvelles identités, jusqu’aux tentatives d’usurpation de noblesse, disent la capacité des uns et des autres à jouer des différentes ressources que permettent les mobilités géographiques. Les nécessaires adaptations et les inévitables tensions que soulève la présence d’étrangers doivent permettre de faire ressortir les spécificités françaises dans l’organisation curiale.
Les approches de type prosopographique, les analyses statistiques lorsqu’elles sont possibles, ainsi que les études de cas particulièrement documentés seront privilégiées dans ce thème 1 qui ne se limite pas aux seules études des charges nobles.
Ce thème vise à replacer les carrières réalisées par les courtisans étrangers en France dans un contexte large, à la fois géographique et social. Dans cette optique, les charges exercées à la cour de France seront considérées comme une étape, un moment particulier, dans des carrières européennes.
Parallèlement, seront étudiés les réseaux familiaux et sociaux qui président, tant à la circulation des individus qu’à la circulation et à la transmission des patrimoines, phénomènes résultant des alliances matrimoniales trans-étatiques conclues entre dynasties aristocratiques européennes, alliances qui conduisent à des phénomènes d’essaimage à la cour de France de familles ou de dynasties d’origine étrangère. L’exemple des enfants nés français mais de courtisans étrangers, et porteurs à ce titre d’héritages composites, est symboliquement fort et mérite à ce titre une attention toute particulière.
Cette étude, visant à mettre en lumière et à démontrer l’existence de ces réseaux, sera complétée par celle des intermédiaires qui facilitent ces circulations : individus jouant à la cour de France et pour les étrangers le rôle de courtiers ou de brokers, pour reprendre la terminologie proposée par Sharon Kettering, interprètes, intermédiaires institutionnels entre courtisans étrangers et univers aulique français et, plus largement, individus intervenant dans « l’économie de l’accueil » (D. Roche) des étrangers à la cour puisque les différentes formes de mobilités de ces courtisans seront également abordées : déplacements des courtisans étrangers qui suivent les pérégrinations de la cour, missions diplomatiques réalisées par des courtisans étrangers, modalités pratiques présidant aux réceptions d’ambassades étrangères, ordinaires et extraordinaires.
Ce dernier thème élargit la perspective tout en la déplaçant. Il s’agit de saisir les formes d’hostilité dont les courtisans étrangers peuvent être la cible, en examinant les discours (campagnes de dénigrement par les textes et par les images) et les actes collectifs, tels que les émeutes contre des courtisans ou diplomates suspects par la nature même de leurs origines. La figure de l’étranger, esquissée par les thèmes récurrents qu’accompagnent des pratiques de rejets dans des moments politiquement forts (la chute et l’assassinat de Concini en 1617, les conflits contre les Provinces-Unies dans la seconde partie du règne de Louis XIV, la guerre de Sept ans, par exemple) ou en toile de fond d’un sentiment collectif soigneusement entretenu, s’impose non seulement en contre-modèle d’une fidélité au souverain, mais aussi en identités différenciées.
À la cour, les formes de marginalisation, qu’elles se traduisent par le refus de certaines charges ou fonctions, par la surveillance des étrangers, ou par le traitement des réfugiés, quelles que soient les motivations de ce refuge, disent en d’autres termes la fragilité de positions toujours susceptibles d’être remises en cause.
À travers la question de la présence étrangère à la cour, ce sont ainsi les structures sociales et politiques d’un univers de pouvoir qui sont interrogées, dans la circonférence relativement circonscrite du palais et dans l’espace ouvert des échanges européens constamment renouvelés. Les emboîtements d’échelles, d’identités, d’héritages, de fonctions, qui dynamisent le fonctionnement curial sont, mieux qu’aucun autre, concentrés en la personne du courtisan étranger. Les trois thèmes retenus, des identités, des circulations et des formes de marginalisation sont autant de facettes d’un problème qui éclaire la cour de France dans sa construction endogène et exogène, en une perspective riche d’enseignements.
Coordination scientifique : Jean-François Dubost, professeur d’histoire moderne à l’université Paris-Est Créteil Val-de-Marne.
Fanny Cosandey, maître de conférences à l’École des hautes études en sciences sociales,
Mathieu da Vinha, ingénieur de recherche, directeur scientifique du Centre de recherche du château de Versailles,
Jeroen Duindam, professeur d’histoire moderne à l’université de Leyde au Pays-Bas,
Marcello Fantoni, professeur d’histoire moderne à la Kent State university à Florence et directeur européen de la Kent State university,
Caroline Hibbard, professeur émérite d’histoire moderne à l’université d’Illinois aux États-Unis,
Leonhard Horowski, affilié à l’université de Münster et à la Herzog August Bibliothek Wolfenbüttel en Allemagne.