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Présentation générale du programme

Durée : 2011-2013

Le Centre de recher­che du châ­teau de Versailles a lancé un pro­gramme de recher­che intitulé « Les étrangers à la cour de France au temps des Bourbons (1594-1789). Stratégies, apports, sus­pi­cions ».

Dirigé par Jean-François Dubost, professeur à l’université Paris-Est Créteil Val-de-Marne, en commun avec le CRCV et en col­la­bo­ra­tion avec ses par­tenai­res et d’autres ins­ti­tu­tions de recher­che, ce pro­gramme répond à un double constat :

  • bien qu’à l’époque moderne la présence d’étrangers soit certainement plus importante à la cour de France (comme dans les autres cours européennes) que dans tout autre milieu, elle reste néanmoins fort mal connue dans sa globalité : consacrées pour l’essentiel à des thématiques spécifiques, à des personnages généralement illustres, ou à tel ou tel groupe national, les études disponibles sont souvent marquées par des frontières académiques entre champs de recherche (histoire des relations internationales, histoire intérieure des États, histoire sociale, politique, culturelle…) dont la pertinence est de plus en plus sujette à caution, en particulier pour étudier les milieux curiaux ;
  • l’historiographie des cours européennes reste fractionnée entre traditions historiques propres à chaque pays, ce qui entrave la possibilité de comparaisons pertinentes à l’échelle du continent.

L’ambition du présent programme est de répondre à ce double éclatement historiographique en proposant un objet d’étude – les étrangers à la cour – qui, en lui-même, appelle une approche transversale de l’histoire des cours européennes, tout en abordant cet objet de manière globale. Pour ce faire, c’est aussi la catégorie « étranger », d’usage patent à l’époque moderne mais dont la définition reste fort problématique, tout particulièrement en milieu curial, qui doit être interrogée, ce qui, là aussi, invite à des comparaisons européennes.

Sans se limiter à l’étude de tel ou tel groupe d’étrangers à la cour (les diplomates, les ministres ou les artistes, pour ne mentionner que les plus fréquemment évoqués) ce programme vise donc à appréhender la présence étrangère à la cour de France sous toutes ses facettes, en s’appuyant donc sur des sources aussi variées que possible (actes royaux, archives notariées, sources policières, correspondances, journaux de voyage, pour les principales), et en mobilisant de façon croisée l’étude des mobilités géographiques, celle des réseaux (abordés tant d’un point de vue social que politique et culturel), celle des transferts culturels, l’histoire des représentations, des rituels et du cérémonial, l’histoire du droit et des institutions, notamment.

Pour des raisons d’ordre sociologique (l’endogamie décroît au fur et à mesure que l’on s’élève dans l’échelle sociale afin de respecter l’impératif d’homogamie, trouver un conjoint appartenant au même milieu social), les aristocraties européennes se sont transformées en groupes étroitement interconnectés par des alliances matrimoniales faisant fi des frontières étatiques, première raison au cosmopolitisme des univers curiaux. C’est certainement là l’un des principaux facteurs favorisant le développement de réseaux intercuriaux européens qui, dans chaque cour, s’appuient sur princes, princesses et courtisans d’origine étrangère, réseaux qu’il conviendra d’appréhender, à partir du poste d’observation français, dans leurs diverses déclinaisons (sociales, politiques et diplomatiques, intellectuelles et artistiques), tout en démontrant leur existence sans se contenter de la postuler. Dans cette perspective, la cour est envisagée non comme un monde clos mais comme un microcosme au sens fort du terme, comme un abrégé du monde en relation de correspondance et d’analogie avec lui ou, pour adopter une terminologie plus contemporaine, comme interface avec le reste du royaume et avec les autres cours européennes.
Interface entre le roi et son royaume, la cour est le lieu où se négocient et se modulent les rapports de force entre le monarque et ses sujets, où sont définies ou redéfinies les obligations et privilèges de ces derniers, et donc, en creux ou de manière positive, ceux des étrangers qui, bien que présents à sa cour, ne reconnaissent pas sa souveraineté. Interface entre la France et les autres États dont elle accueille les représentants, la cour est aussi lieu de négociation et de modulation de leurs rapports de force, lieu d’exposition pour les productions artistiques et culturelles françaises qu’elle confronte à celles des autres pays via les échanges et circulations d’hommes et d’objets, aspect majeur de la vie curiale. De la sorte, la cour contribue à définir modes, goûts et styles comme « français » ou « étrangers ». À l’inverse, ces échanges humains et culturels contribuent aussi à la construction d’une identité culturelle commune à l’Europe, et à l’intégration dans le concert des États européens de puissances considérées, suivant les stéréotypes nationaux qui prévalent alors, comme barbares, telles que la Russie. Le chantier ouvert par ce programme souhaite donc participer au renouveau historiographique soulignant que l’histoire des relations internationales ne se réduit pas à la seule histoire diplomatique.

Il s’agit aussi d’observer comment la cour devient le lieu d’une affirmation collective – celle de la « communauté imaginée » des Français – qui, pour s’affirmer comme telle, construit une certaine représentation de son identité, identité qu’elle met en scène à travers ses décors, ses divertissements, mais aussi les pratiques de gouvernement. Lieu par excellence de représentation du pouvoir monarchique, la cour théâtralise ce qui fait la spécificité française de ce pouvoir, et participe ainsi à l’affirmation d’un sentiment national construit autour deux pôles : le roi et le territoire dont il est le souverain. S’interroger sur la présence d’étrangers dans un tel cadre, c’est aussi s’interroger sur les voies et les modalités de l’affirmation – longtemps mésestimée – du sentiment national français au temps des Bourbons.

La cour de France offre ainsi l’apparent paradoxe d’être un creuset cosmopolite dans lequel se renforce le sentiment national même si elle n’est pas le seul lieu d’élaboration de ce dernier. L’un des principaux objectifs de ce programme est d’éclairer ce paradoxe en s’efforçant de suivre sur un plan quantitatif l’évolution de la présence étrangère à la cour, en même temps que les modalités qu’elle revêt. L’hypothèse de départ est qu’à la cour des Bourbons, de moins en moins d’étrangers sont au service direct de la famille royale – évolution qui enregistre le renforcement du sentiment national et la progressive construction de « l’étranger » en catégorie politique – mais qu’en revanche, on y rencontre de plus en plus d’étrangers au service d’autres États ou venus à la cour par intérêt personnel, se pliant en particulier à une pratique culturelle qui est aussi marqueur d’appartenance sociale : le voyage de formation ou « grand tour » dans lequel le passage par la cour de France est devenu une étape pour ainsi dire obligée.

Deux axes d’étude

Pour répondre à l’ensemble de ces objectifs, les travaux conduits dans le cadre de ce programme, s’organisent en deux axes principaux :

Axe 1 : « Courtisans étrangers à la cour des Bourbons (1594-1789) »

Cet axe s’attache à l’étude de tous ceux qui jouissent d’une position définie à la cour, soit par intégration dans les maisons royales et princières françaises, soit par l’obtention du statut de pensionnaires, soit encore en étant au service des princes ou États étrangers.
Coordination scientifique : Jean-François Dubost, professeur à l’université Paris-Est Créteil Val-de-Marne.

Axe 2 : « Voyageurs européens à la cour de France au temps des Bourbons (1594-1789) – regards croisés »

Cet axe est plus spécifiquement orienté vers l’étude des pratiques du voyage, des regards des voyageurs étrangers sur la cour de France, du voyage curial comme outil politique, et vers l’analyse des impacts et des transferts culturels favorisés par le tourisme curial.
Coordination scientifique : Caroline zum Kolk (CRCV).

Productions

>  Journées d’études « Qu’est-ce qu’un étranger à la cour de France ? : redéfinition et affirmation d’une catégorie dans la France du Grand Siècle », 8 et 9 décembre 2011 (Versailles).

>  Colloque international « Voyageurs européens à la cour de France au temps des Bourbons (1594-1789) – regards croisés », 31 janvier-1er février 2013 (Institut historique allemand).

>  Publication des actes du colloque de 2013 dans notre collection « Aulica ».

>  Un numéro spécial du Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles est consacré à l’édition de cinq sources de l’époque moderne témoignant de la réception de voyageurs étrangers à la cour des Bourbons.

>  Journée d’études « Circulations étrangères à la cour de France au temps des Bourbons », 12 avril 2013 (Versailles). Journée non ouverte au grand public.

>  Publication dans le Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles de communications issues des journées d’études de 2011 et de 2013 sous la direction de Jean-François Dubost.

>  Mise en ligne d’un corpus raisonné sur les étrangers à la cour avec un dossier sur les étrangers à la cour des Bourbons à travers les actes notariés (1618-1690) et un sur les ambassadeurs sous Henri IV et Louis XIII (1595-1643).

>  Participation à l’exposition du château de Versailles « Visiteurs de Versailles : voyageurs, princes, ambassadeurs : 1682-1789 » (22 octobre 2017 - 25 février 2018).

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