Journée d’études organisée par le Centre de recherche du château de Versailles et la Société Saint-Simon.
Fille du marquis puis duc de Noirmoutier, Marie-Anne de La Trémoille (1642-1722) épousa le comte de Chalais en 1659, qu’elle rejoignit dans son exil en Espagne à partir de 1667 – le comte s’y était réfugié en 1660, après avoir contrevenu à l’édit contre les duels, dont Louis XIV venait tout juste de renouveler l’interdiction. Devenue veuve en 1670, la jeune femme se remaria en 1675 avec un prince romain, Flavio Orsini, et porta alors le titre de duchesse de Bracciano, un titre auquel elle dut renoncer en 1696 après que Livio Odescalchi eut racheté à son mari le fief de Bracciano et le titre ducal. Les Orsini reprirent alors leur nom de famille et Marie-Anne signa désormais ses lettres, à la française, comme « Princesse des Ursins ».
Lors du long séjour qu’elle effectua à la cour de France de 1688 à 1695, Marie-Anne fit la connaissance du jeune Saint-Simon, qui parle d’elle à plusieurs reprises dans ses Mémoires. Les épisodes où elle est dépeinte sous les traits d’une femme de pouvoir, dont l’ambition n’avait d’égal que l’orgueil, renvoient aux années qu’elle passa à la cour d’Espagne (1701-1714), alors que, devenue à nouveau veuve, elle avait été choisie pour être la camarera mayor de la reine. Ces témoignages tardifs fixent les grandes lignes d’un mythe tenace que l’historiographie a longtemps entretenu (pour une révision argumentée on se reportera aux travaux de Marianne Cermakian parus en 1963 puis en 1974).
La présente journée d’étude a pour objectif de considérer la manière singulière dont Marie-Anne de La Trémoille acquit progressivement de l’autorité et les moyens qu’elle mit en œuvre pour se hisser dans la société des princes, à Rome tout d’abord, où elle sut jouer avec opportunisme de la rivalité entre le parti de France et celui des Habsbourg, à Versailles ensuite, où elle effectua deux séjours de plusieurs années afin de défendre les privilèges et les intérêts financiers des Orsini et obtenir que ceux-ci y fussent considérés comme « princes étrangers », à Madrid enfin, où sa position privilégiée auprès de la reine la plaçait de facto au cœur de l’arène politique. La princesse traversa les frontières géographiques tout autant que celles des hiérarchies sociales et politiques de l’Europe de Saint-Simon.
Aussi paraît-il intéressant de déterminer ce qu’elle parvint à obtenir dans trois cadres socio-politiques bien distincts, à Versailles, à Rome et à Madrid, et à quel moment, en s’attachant tout particulièrement aux moyens qu’elle mit en œuvre. Polyglotte, puisqu’elle parlait le français, l’italien et l’espagnol, parfaitement au courant des us et coutumes de la cour pontificale et des cours romaines princières et cardinalices, de ceux de la cour de France et de celle de Madrid, elle était en mesure d’agir parallèlement aux ambassadeurs, et ainsi de les soutenir ou de les gêner dans leurs négociations diplomatiques. Tout l’enjeu pour elle était de servir ses intérêts propres tout en servant d’appui et de relais à la politique internationale menée par la couronne de France. La façon dont elle conjugua ce double objectif témoigne d’un art très politique qui reposait sur son entregent, c’est-à-dire sur la manière adroite et civile qu’elle avait de vivre dans le monde, prompte à s’entremettre en veillant toutefois à ce qu’on ne pût la taxer d’intrigante. Fort attentive à l’image qu’elle donnait d’elle-même, la princesse des Ursins exerça une forme de pouvoir très moderne, fondé sur la mise en scène de soi, sur l’influence et le rôle nécessaire des intermédiaires.
Des spécialistes d’histoire politique, d’histoire des spectacles, d’histoire de l’art, de littérature et de stylistique se réuniront pour envisager l’action de la princesse des Ursins sous l’angle du rapport entre le pouvoir et les arts, en suivant le personnage dans ses pérégrinations d’une cour à l’autre. En procédant par des analyses de cas précis empruntés à diverses périodes de la vie de la princesse, ils proposeront des éléments d’explication pour comprendre la fascination qu’elle semble avoir exercée sur ses contemporains, le « charme » que dépeint Saint-Simon ou, pour le dire en terme moderne, son charisme.
Direction scientifique : Anne-Madeleine GOULET (directrice de recherche, CESR, UMR7323 du CNRS) & Guillaume HANOTIN (maître de conférence, université Bordeaux Montaigne).
Communications parues dans Les Cahiers Saint-Simon n°49.