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ÉcoNoble – La noblesse chez le roi : économie d’une cohabitation curiale (1682-1789)

Durée : 2023-...

Ce programme de recherche propose de mettre à l’épreuve des sources les théories de Norbert Elias sur la condition noble telle que vécue à la cour, et en particulier à Versailles. L’enjeu serait de s’inscrire dans le prolongement des études de Jeroen Duindam et Leonhard Horowski en les appréciant à l’aune d’une documentation inédite et d’une perspective renouvelée, en mobilisant histoire sociale, anthropologie historique, histoire du genre et histoire matérielle. Le but est d’affiner la connaissance de la noblesse de cour d’un point de vue social mais aussi économique, en interrogeant l’idée d’une ruine (notamment financière) inévitable, jusqu’alors peu explorée.

À la suite de Norbert Elias, l’on considère généralement que l’installation de la cour à Versailles sonna pour la noblesse le glas de toute autonomie : enfermée dans la « cage dorée » du palais royal, elle serait devenue dépendante du souverain, autant sur le plan économique qu’honorifique. Cela se serait traduit par une évolution des comportements, une augmentation des dépenses et donc un endettement chronique, menant au XVIIIe siècle à un délitement progressif des lignages. Cette vision est déjà celle d’Ernest Lavisse (1911), avant d’être relayée par l’historiographie traditionnelle.

Les recherches menées depuis les années 1980 y ont néanmoins apporté d’importantes nuances. William Beik, dans le titre évocateur d’un de ses articles (2005), présente l’absolutisme louis-quatorzien comme une potentielle source de « collaboration sociale ». D’abord développée dans l’historiographie anglo-saxonne, cette idée est notamment défendue par Andrew Lossky (1984) et Roger Mettam (1988). Souvent soutenue en mobilisant des exemples provinciaux, elle est démontrée par Katia Béguin (2000) pour l’aristocratie de cour. De même, les travaux sur le clientélisme et des études de cas portant sur un individu, un lignage, un groupe de dignitaires, ont révélé des marges d’action amenant à des compromis et pouvant, dans certains cas, se révéler coercitives pour le monarque.

Mais le plus souvent, c’est sur le « système » lui-même, celui de la cour (pour reprendre le terme utilisé par Emmanuel Le Roy Ladurie), plus que sur ses acteurs, que la recherche récente s’est portée. Son fonctionnement institutionnel est ainsi connu grâce aux études menées depuis quelques années sur les maisons royales et leur personnel. Plus spécifiquement sur le fonctionnement de la cour versaillaise, Jeroen Duindam fournit en 2003 une étude éclairante : en introduisant un parallèle avec la cour viennoise, il défait nombre de postulats défendus par Elias et montre comment l’intégration à la cour a pu représenter une opportunité pour gagner pouvoirs, honneurs et ressources matérielles. L’ouvrage de Leonhard Horowski, publié en allemand en 2012 et traduit en français en 2019, défend la même idée en adoptant cette fois une perspective quantitative. En se positionnant « contre la thèse d’une dépossession de ses pouvoirs imposée à la noblesse de cour par l’absolutisme » (p. 46), l’auteur opère ainsi, comme Duindam, un renversement de la vision communément admise.

Si la cour est mieux connue comme société et comme lieu de pouvoir, elle l’est également comme « institution économique », pour reprendre l’expression formulée par Maurice Aymard et Marzio A. Romani dans les actes d’un colloque tenu en août 1998 sur le sujet. Depuis cette rencontre scientifique, le cas français, et plus particulièrement versaillais, a fait l’objet d’études orientées sur les aspects pratiques et les dépenses engendrées par la vie commune du roi et de ses courtisans. D’autres travaux ont adopté une perspective inverse, en montrant l’impact sur le marché, notamment parisien, des consommations de cour.

Ces travaux ont ainsi permis de saisir l’organisation aussi bien que le fonctionnement de la cour dans sa globalité, qu’il s’agisse de sa composition, de son ampleur, de son coût, de ses répercussions économiques, de ses dynamiques de pouvoir. Mais ils se placent rarement à l’échelle des acteurs et de leur agency (capacité d’action), en particulier de ceux qu’Elias voyait comme les « perdants » de l’installation à Versailles : les maisons nobles, que leurs membres soient – ou non – détenteurs de charges.

Axes de recherche et questionnements

  • Vivre à la cour : un train de vie supposé ostentatoire, quelle réalité ? Mena-t-il inévitablement à un endettement chronique et, si celui-ci existe, peut-il être dû à d’autres facteurs ?
  • Le roi au secours de la noblesse, la noblesse au secours du roi : un rapport d’interdépendance ou une dépendance à sens unique ?
  • La cour comme point de contacts entre certaines franges de la noblesse : quels échanges socio-économiques ?

En somme, il s’agira de déterminer si le mode de vie en cour tel qu’il s’impose à partir de 1682 à Versailles, impliquant une cohabitation avec le roi, fut profitable ou au contraire néfaste à la noblesse.

Deux approches croisées seront mises en œuvre pour apporter des réponses à ces questionnements : une première partira des individus logeant au château, identifiés après recoupements documentaires, une seconde, complémentaire, s’appuiera sur les sources disponibles les concernant. Ainsi, la recherche pourra se déployer suivant différentes modalités : d’une part une étude quantitative à partir des individus logés identifiés, d’autre part une analyse plus resserrée à l’échelle de quelques lignages représentatifs.

La typologie des documents pourra également orienter la recherche et l’analyse, entre les affaires matrimoniales et successorales, les affaires domaniales, enfin les affaires ordinaires à savoir le coût du quotidien (bouche, écurie, maison domestique, chauffage, habillement, bâtiments etc.) – trois domaines de recettes et de dépenses qui se distinguent dans les papiers aujourd’hui conservés et qui permettent de cerner le fonctionnement économique des ménages nobiliaires en lien avec leur train de vie à la cour.

Équipe

Direction du programme : Flavie Leroux, chargée de recherche au Centre de recherche du château de Versailles.
Comité de pilotage et comité scientifique consultatif à venir.

Premières actions envisagées

>  Préparation d’un dossier pour postuler à la session 2025 de l’appel à projets générique de l’Agence nationale de la recherche, via l’instrument Jeunes chercheuses et jeunes chercheurs.
>  Repérage documentaire : dépouillement des inventaires conservés aux Archives nationales. Travail engagé pour les fonds AP (Archives privées), R (Papiers domaniaux séquestrés des princes du sang), T (Papiers privés tombés dans le domaine public) et Minutier central des notaires parisiens. Cette première recension sera complétée par une seconde, qui ciblera des fonds conservés en Archives départementales et municipales.
>  Composition de premiers échantillons d’étude : sociologie de l’habitat versaillais effectuée pour les années 1732, 1743 et 1787.
>  Veille historiographique.
>  Organisation courant 2024 d’un comité de pilotage et d’un comité scientifique consultatif.

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